Kissing The Sun, Touching The Moon, Mixing The Waters

2019
Exhibitions

Marco Godinho – Kissing The Sun Touching The Moon Mixing The Waters

Le Parvis - Centre d'art contemporain, Tarbes, France
25.10.2019 – 11.01.2020

Curator: Magali Gentet, head of the contemporary art center

Kissing The Sun, Touching The moon, Mixing The Waters

Quelle est la première œuvre d’art invisible ? Telle est la question que je me suis posée après une journée de repérage auprès de cet artiste jovial, complice, savant et volubile qu’est Marco Godinho ! Peut-être une ligne, tout simplement tracée au doigt par un chaman, il y a quelques milliers d’années, sur le sable d’une plage ou dans la poussière d’un sol... Aussi vite disparue qu’elle est apparue ? Cette conjecture, toute personnelle, interprétée à partir des recherches menées par Jean Clottes autour de l’art rupestre et du chamanisme, trouve sa vérité dans une célèbre histoire que Marco Godinho me révéla lors de nos échanges nourris. Une histoire que Thierry Davila chronique parfaitement dans son livre « De l’inframince, Brève histoire de l’imperceptible, de Marcel Duchamp à nos jours. ». Cette dialectique du visible et de l’invisible est, en effet, un des enjeux les plus anciens de l’histoire de l’art. Car, dès l’Antiquité, raconte Davila, les peintres Protogène et Apelle rivalisaient déjà d’excellence en cherchant chacun à peindre la ligne la plus invisible qui fut. Depuis lors, nombre d’artistes jusqu’aux conceptuels, n’ont eu de cesse d’interroger l’art dans ses formes les plus ténues et les plus « inframinces » (1). L’esthétique minimaliste et conceptuelle que développe Marco Godinho est héritière de cette longue histoire des expériences à la limite du perceptuel. À ceci près, toutefois, que l’invisible de Marco Godinho n’est pas qu’une réserve ou une absence de perceptibilité. Son Invisible n’est pas seulement un non-visible. Il est également celui qui hante l’œuvre, au-delà et en-deça du visible, celui qui reçoit des images, accueille des rituels et donne lieu à des apparitions, voire des miracles, pour, au final, questionner notre rapport au temps, aux énergies et à la quête de sens dans un monde inquiet de son devenir.

Partout, du Nord au Sud, tout n’est que crise. Et la question migratoire est probablement une des plus tragiques. Cet enfant de la Révolution des Œillets, très tôt marqué par l’expérience de l’exil et de l’itinérance (les parents de Marco Godinho ont quitté leur pays natal alors qu’il était tout jeune), s’inspire du concept de la géophilosophie de Deleuze et Guattari (2) qui reconnaît aux territoires et à leurs traversées un caractère esthétique et sensible en même temps qu’une dimension politique entendue comme la construction de l’espace du vivre ensemble. Nous sommes tous des migrants semble nous dire Marco Godinho et nous n’en sommes pas moins partout chez nous, ensemble ! Ce parcours biographique métissé qui l’a conduit du Portugal au Luxembourg imprègne aujourd’hui un travail lié à l’exploration « sensible des notions d’errance, d’exil, de mémoire et de temps vécu » (3). C’est ainsi une toute autre géographie que Marco Godinho dessine à travers ses œuvres. Une géographie subjective, minimale et performative qui réfère autant à son imaginaire qu’à l’histoire des lieux explorés. Ici au Parvis, Marco Godinho s’est principalement intéressé au contexte géographique : à la contiguïté des Pyrénées d’Est en Ouest d’abord et à son histoire migratoire, au déplacement depuis le Nord (le Luxembourg) vers le Sud, mais également aux particularités historiques, scientifiques, mythologiques et ésotériques qui caractérisent ce paysage. Ainsi, le titre de l’exposition Kissing The Sun, Touching The Moon, Mixing The Waters réfère à la fois à sa découverte de l’observatoire astronomique du Pic du Midi, à sa visite des sanctuaires de Lourdes et de la grotte pariétale de Gargas. Puis, à sa traversée imaginaire des Pyrénées depuis l’Atlantique vers la Méditerranée. C’est ainsi que de nombreuses œuvres suggèrent l’idée d’une exposition pensée comme un voyage tout en mettant l’accent sur l’exploration de gestes liés à des phénomènes naturels (le mouvement de l’eau, la puissance du soleil, le cycle lunaire, la poussière de la terre...) et surnaturels (le miracle des Apparitions). Ainsi qu’au temps et à l’oubli.

 
Moins on voit plus on croit

Marco Godinho voyage léger, transporte peu d’œuvres et choisit de faire avec le contexte, avec ce qui se trouve sur place dans une certaine économie de moyens. C’est ainsi qu’Oblivion (Colour) s’ancre dans les vestiges de l’exposition qui la précède en célébrant la valeur plastique d’un jeu de peinture si imperceptible qu’il en rend le spectateur aveugle. Ou que des miracles et autres secrets se cachent dans les pages vierges arrachées au carnet que l’artiste emporte toujours avec lui : Miracles Are Hidden Secrets # 1 et # 2.
Parfois également, des œuvres visibles sont hantées par l’invisible. Au sol, sur un tas de journaux locaux renouvelés quotidiennement, deux petites loupes en quartiers de lune renvoient autant à un art divinatoire qu’à la scrutation attentive de l’actualité mondiale : The Unknown In Suspense (Cristal Moon Blocks).

 
Des œuvres vagabondes

Marco Godinho n’a de cesse d’interroger les conditions liées à nos vies d’exilés, que ces dernières soient choisies ou subies et aux traces que l’on laisse derrière nous.
Dans un geste radical, Marco Godinho a choisi de démonter le toit de son habitation pour le réduire en poussière et l’étaler sur le sol du centre d’art à la dimension de la surface qu’il abritait. En son centre, une mystérieuse injonction est lisible par son absence : Remember What Is Missing (The Infinite House) (Se souvenir de ce qui manque – la maison infinie) renvoie immanquablement à la notion de déracinement qui, si elle peut s’avérer souvent douloureuse, correspond ici, pour l’artiste, à un état de libération. En effet, se défaire des chaînes de l’appartenance est parfois salutaire.

De même, Sequence Of A Forgotten Moment : cette image d’une fusion des rives océaniques et méditerranéennes est à l’origine d’une nouvelle utopie, d’une étendue maritime à réinventer afin qu’elle ne soit plus le tombeau que l’on connaît aujourd’hui. Et cet épisode qui relie ces deux eaux à une traversée pyrénéenne est également marqué par les fantômes de Walter Benjamin, philosophe, écrivain, exilé qui se suicida à Portbou en tentant de fuir le nazisme. Et d’Aristides de Sousa Mendes, diplomate portugais basé à Bordeaux qui, à la même époque, permit à de nombreux réfugiés d’arriver à Lisbonne le seul port d’Europe de l’Ouest ouvert vers l’Amérique. Lorsque, dans de telles circonstances, un être cherche à quitter sa terre sans doute ne se trouve-t-il plus d’endroit à lui, ni de direction vers laquelle se diriger sur aucune carte qu’elle soit géographique, géopolitique ou géophilosophique. Sa boussole est alors celle du désespoir, de l’attente, de l’immobilité. Mais parfois également celle de la poésie, de l’art et de la littérature, autant de notions qu’évoquent In Transit, sorte de rose des vents constituée de quatre encadrements de portes, et Navigation Instrument (South), une pièce réactivée par l’artiste dont la direction change en fonction du lieu où elle s’implante.

 
La puissance des éléments

Notre planète est façonnée par la lutte des éléments entre eux, la terre, l’eau, le feu, le vent. Ces éléments, aussi destructeurs que générateurs de vie, dessinent nos paysages, animent le vivant et sont encore l’objet de nombreuses croyances animistes par-delà le monde. Célébrant les énergies solaires, lunaires, aquatiques et terrestres, plusieurs œuvres de l’exposition utilisent la nature comme matériau. Dans un double mouvement, elles mettent l’accent sur notre relation consumériste à une nature vue comme un simple vivier de ressources exploitables et tentent également une restauration du lien qui nous unissait à elle. Un lien qui nous replace humblement dans une continuité temporelle avec elle. Ainsi, du cycle lunaire déployé sur les premières pages de La Dépêche du Midi tous les jours du mois d’août 2019, Cycle lunaire (1 – 30 août, 2019) #1-30, ou de In The Hollow Of Your Hands, la communion de trois eaux (celles de l’Atlantique, de la Méditerranée et de Lourdes) qui symbolise cette zone frontalière des Pyrénées qu’empruntent les migrants depuis des millénaires. As Close As Possible To The Sun, vidéo hypnotique du soleil par temps de brume, a été réalisée au Pic du Midi. D’une étrange beauté, ce disque solaire évoque aussi la douce lueur de la lune, autre objet d’observation céleste depuis des millénaires dont le Pic du Midi fut un des principaux promoteurs (4).

 
Autant de jours que de mots

Plusieurs œuvres de l’exposition tiennent donc compte de la temporalité dans laquelle elles sont développées. In The Hollow Of Your Hands, justement, appartient à ce mouvement qui requiert la vigilance du médiateur afin que l’eau ne s’évapore pas. La coupe en verre formée par le creux des mains de l’artiste doit ainsi être régulièrement remplie du mélange des eaux pendant le cours de l’exposition. Elle devient comme un organisme vivant auquel il faut prêter attention. Cinquante-cinq, soit autant de jours d’exposition que de phrases poétiques que Marco Godinho révèle dans le centre d’art et son extérieur. Kissing The Sun, Touching The Moon, Mixing The Waters est une œuvre protocolaire qui utilise la matière poétique comme lien à l’espace d’exposition et à sa durée. Performative, l’action se répète à l’heure d’ouverture et de fermeture du centre d’art : encoller une feuille de papier avec la phrase quotidienne puis, à la fin de la journée, l’enlever pour l’afficher dans un espace de circulation du Parvis. Ce recouvrement renvoie enfin à une dernière œuvre inspirée par la grotte aux deux cent mains (5). Recouverte de manganèse, l’empreinte de l’index de l’artiste trace un parcours dans le centre d’art. Ce sont 27000 ans qui séparent cet horizon digital des peintures de mains préhistoriques. Wandering With The Horizon At Your Fingertips est une œuvre transhistorique qui introduit « une mesure intime de l’espace et du temps » (6).

Cette petite phénoménologie est toute personnelle. L’observation des œuvres pourrait également se faire tout autrement tant elles parviennent à tisser des histoires, des récits entre elles. Mais convenons que Kissing The Sun, Touching The Moon, Mixing The Waters raconte l’histoire d’un monde ouvert aux énergies du visible et de l’invisible, traversé par les flux humains et lié aux forces élémentaires du vivant avec, pour véhicules principaux, la littérature, la philosophie et la poésie. Une exposition qui n’est ainsi pas sans évoquer ce concept, cher à l’artiste, théorisé par l’essayiste Kenneth White : La géopoétique, cette théorie-pratique transdisciplinaire qui ambitionne de restaurer le lien, depuis longtemps rompu, unissant l’homme à la terre. Une entreprise intellectuelle, sensible et innovante qui ne s’entend pas seulement au sens géographique et artistique mais qui concerne, bien au-delà, tout ce qui fonde ontologiquement l’existence humaine sur notre astre. De l’esprit à la science. Dans l’espace et le temps. « Il n’est pas question de construire un système, mais d’accomplir, pas à pas, une exploration, une investigation (du monde ndlr) » nous dit Kenneth White « en se situant, pour ce qui est du point de départ, quelque part entre la poésie, la philosophie, la science » (7).

Magali Gentet
Responsable du centre d’art contemporain et commissaire de l’exposition

  • I.
  • II.
  • III.
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  • XXXIV.
  • XXXV.
  • XXXVI.

(1) Selon Thierry Davila, « Inframince » : c’est le nom que l’artiste Marcel Duchamp (1887-1968) a donné à une dimension à la fois intellectuelle et sensible qui traduit, à l’époque moderne, la quête artistique des formes les plus ténues. L’inframince, explique Duchamp, est comme le délai qui sépare, dans un tir de foire, « le bruit de détonation d’un fusil (très proche) et l’apparition de la marque de la balle sur la cible ».
(2) « Qu’est-ce que la philosophie ? », dernier ouvrage publié en 1991 par Giles Deleuze et Félix Guattari.
(3) Hélène Guénin, texte de l’exposition individuelle Les mondes nomades au Mamac de Nice 09.07 – 30.10.2016. Commissariat Hélène Guénin.
(4) Le Pic du midi a cartographié la lune en vue de l’alunissage d’Apollo 11 en 1969.
(5) Les grottes de Gargas sont les seules grottes ornées du département des Hautes-Pyrénées ouvertes au public. Elles sont situées dans la vallée de la Neste sur le territoire de la commune d’Aventignan (65660). La particularité de Gargas sont ces pochoirs de mains préhistoriques dont la plupart semblent amputées ou révèlent un manque de plusieurs doigts et morceaux de doigts. Ce sont au total plus de 200 peintures de mains négatives (d’hommes, de femmes et d’enfants) qui ont été recensées.
(6) Marco Godinho dans sa note d’intention pour le projet.
(7) Kenneth White, « Le Plateau de l’Albatros, introduction à la géopoétique », essais, Paris, Grasset, 1994. http://www.kennethwhite.org/geopoetique/
 

Note d’intention pour le projet

MARCO GODINHO
 
« Pour l’exposition au Parvis, je propose une constellation d’œuvres autour de la perception de l’espace et du temps, basées chacune sur des gestes autonomes, qui évoquent ensemble un esprit commun, celui de questionner la condition humaine et la manière dont nous vivons et nous déplaçons aujourd’hui. Par la création et activation de gestes rituels, les œuvres convoquent la participation des visiteurs, de la nature et des éléments, pour capter les liens invisibles qui nous entourent. Partant de mes propres expériences intimes et subjectives issues d’une pratique nomade avec des lieux ou des situations, chaque proposition ouvre à une forme de pensée universelle – un art du déplacement – à travers un processus où la disparition, la mémoire et la géographie, relient le temps personnel à l’histoire commune et où le poème et une forme de poésie, joue un rôle décisif pour tenter de mieux comprendre nos politiques et structures sociales défaillantes dans lesquelles nous vivons. Toutes les œuvres mettent l’accent sur l’exploration de gestes liées à des phénomènes naturels et s’intéressent davantage au processus de création plutôt qu’au résultat et sont quelque part un enregistrement de traces d’actions qui induisent principalement l’expérience avec notre environnement naturel. Les œuvres utilisent le ciel, le soleil, le vent, l’eau de mer, la lune, de la terre, de la poussière, le temps comme matière d’exploration. Aussi l’importance de la marche, de la déambulation et du déplacement sont omniprésentes. Les œuvres tiennent compte aussi principalement du contexte et de la temporalitédans lequelle elles sont développées. »